Cynisme ordinaire

La palme 2013 de l'humour cynique aux mathématiciens

 Parution 31.01.2014 - Lettre 53

• L'échange ci-dessous nous a marqué, par sa violence symbolique, entre le Rédacteur en chef d'une revue de mathématiques (impact factor 0.957) et  un directeur d'institut de mathématiques qui lui répond avec une arrogance décomplexée certaine.
• Puis s'ensuivent des échanges de lettres  entre divers acteurs suite à notre lettre 53 "Responsable" dont nous publions quatre significatives de ce cynisme qui n'est pas exclusif - loin s'en faut - aux mathématiciens
• En effet, le processus de reviewing est un processus d'apprentissage. Apprentissage du métier pour les jeunes de notre relève ; apprentissage toute notre vie de chercheurs confirmés
• Et, comme l'a dit fort à propos un auteur (qui ??) :

" La modestie sied au chercheur, mais pas aux idées qui l'animent et pour lesquelles il se doit de combattre. 

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Mail 1 : lettre d'un rédacteur en chef d'une revue de mathématiques à un Directeur d'institut français

"Monsieur le professeur,

 Michelle Bergadaà, Université de Genève, éditant les lettres "fraudes etdéontologie", considère que les auteurs qui utilisent une revue  pour améliorer leur article afin de soumettre finalement à une autre relèventt d'un mauvais comportement scientifique.

Mme x , de l'Institut de Mathématiques de X, nous a trimbalés pendant des mois, depuis le 14 décembre 2012, le rédacteur en chef invité et moi-même, rédacteur en chef principal de la revue Mathematical xxx, avec son article "xxx", écrit de manière épouvantable... Les fautes à corriger relevaient de  l'amateurisme le plus débridé, avant que je me rende compte que celles-ci étaient délibérées, devant être réitérées d'une demande de corrections à une autre, sans compter les messages de Mme XXX agressifs  et dilatoires.

 En tant que directeur de l'"Institut de Mathématiques xxx", peut-être également soucieux de déontologie, vous avez le droit d'être informé afin que ce genre de pratiques et de préjudices pour les revues  scientifiques, pour nos collègues rapporteurs, pour le relecteur et pour  le rédacteur en chef invité ne se perpétuent pas. Ou bien soutenez-vous notre collègue et me répliquerez-vous de son bon droit et du vôtre ? Pas de  pb, mais au moins vous êtes informé. 

 bien à vous ?xxx

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Mail 2  : Réponse du Directeur de l'Institut de Mathématiques de X

"Cher Monsieur,?

Je vous remercie pour votre courrier qui témoigne d'un professionnalisme et d'une vigilance rare aujourd'hui dans le milieu scientifique. Par  contre, je ne connais pas Michelle Bergadaa, bien qu'étant professeur à l'université de Genève, doit être un esprit reconnu.??

Malheureusement, je ne peux que vous confesser que la pratique que vous  dénoncez est fortement encouragée par la direction de notre institut.

Nous sommes tenu de maintenir notre rang dans le milieu de la recherche ?internationale, aussi je demande aux membres de mon unité de soumettre une première version de leurs travaux à des journaux secondaires pour bénéficier de l’expertise que ceux-ci nous fourniront gratuitement. Ensuite je conseille de soumettre les articles à des journaux plus  sérieux à fort facteur d'impact.??

En tout cas j'itère mes remerciements et, croyez-moi, je conseillerai  dorénavant à mes collègues de soumettre leurs manuscrits à des journaux avec des rédacteurs en chef moins scrupuleux.??Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de mon grand respect.??

 Y Directeur de l'Institut de Mathématiques de X"

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Lettre 1

Chère Collègue,

La revue américaine que je dirige porte sur l’étude mathématique XXX. Malgré l’étroitesse du domaine, ce qui est le lot de la plupart des revues spécialisées, elle atteignait tout de même  0.957 de facteur d’impact en 2012, dernière année où la statistique a été calculée, puisque j’écris ces lignes encore en 2013. Les meilleurs noms du domaine y ont écrit et continuent d’envoyer leurs articles. Proposer et publier un article dans cette revue est gratuit.

Il m’arrive régulièrement de donner la parole et de confier temporairement les commandes à des rédacteurs en chef invités, parce que la science est affaire de tous, n’est-ce pas ? Félicitations à ces rédacteurs en chef invités, qui, bénévolement, opiniâtrement, sollicitent les auteurs marquants dans le domaine de leur numéro thématique. Comme beaucoup d’entre nous le savent, ils doivent quérir des rapporteurs aux compétences irréprochables, mener à bien la révision de l’article sur le fond avec les auteurs, ce qui nécessite parfois plusieurs allers retours, avec une bonne volonté alliée à un impératif de rigueur. Une fois l’article accepté sur le fond, il s’agit encore de prier les auteurs de se conformer aux instructions des lecteurs, ce qui se fait d’habitude sans heurts, puisque nous sommes entre professionnels. Rien que du classique donc.

Aussi l’attitude de cet auteur, XXX, de l’Institut mathématique de XXX, apparut-elle étrange, dénotant avec le dialogue habituel que j’ai pu avoir avec les auteurs depuis les nombreuses années que je dirige cette revue. Quelque chose clochait : Mme XXX freinait tant que possible sur des corrections évidentes, répondant toujours après de longs délais, remettant les passages confus ou les rendant encore plus jargonneux, comme par un fait exprès,  négligente sur les figures, ne se donnant même pas la peine d’appliquer le style des références.

Après de nombreux échanges de sa part tout de suite agressifs et dilatoires, de la mienne sobre et fonctionnels comme il se doit, elle déclarait « retirer l’article » et qu’elle « soumettrai [celui-ci] à une revue de statistique » (11 décembre 2013). C’était bien surprenant et surtout méprisant pour le travail des rapporteurs, du rédacteur en chef invité, du relecteur, des autres auteurs du numéro spécial, et de moi-même. Je m’en émus auprès de XXX, le responsable de l’unité « XXX » de l’Institut de mathématiques de XXX, suspectant que nous avions été utilisés par Mme XXX pour améliorer son article afin de le soumettre ailleurs. Pas de réponse de XXX. J’en informai alors le cran au-dessus, le professeur XXX, directeur de l'Institut de mathématiques de XXX. Sa réponse parle d’elle-même, quelques réserves qu’on puisse imaginer à mon récit.

Voir mails 1 et 2 ci-dessus

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Lettre 2

Madame,

Comme vous l'écrivez, la communauté mathématique est petite...  
Il 
se trouve que je connais bien la mathématicienne en question et que je peux attester de la souffrance que lui a fait endurer cet éditeur-dictateur pendant des mois. Que vous puissiez publier les propos délirants de cet éditeur paranoïaque sans vous renseigner davantage me sidère complètement.

Je vous signale par ailleurs que ce même éditeur encourage une forme de plagiat. Il demande aux auteurs publiant dans la revue qu'il édite de NE PAS citer des travaux à l'origine d'une méthodologie parce qu'ils n'ont pas été publiés dans une revue ou un ouvrage et alors même que les plus grandes revues du domaine citent ces travaux (qui sont considérés comme fondateurs).
Cordialement
ZZZ

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Lettre 3

 

"Madame,
Je m'inscris en faux contre l'accusation : 

"Je vous signale par ailleurs que ce même éditeur encourage une forme de plagiat. Il demande aux auteurs publiant dans la revue qu'il édite de NE PAS citer des travaux à l'origine d'une méthodologie parce qu'ils n'ont pas été publiés dans une revue ou un ouvrage et alors même que les plus grandes revues du domaine citent ces travaux (qui sont considérés comme fondateurs)."

C'est une accusation gratuite qui vise à noyer le poisson de la conduite frauduleuse consistant à utiliser une revue pour soumettre à une autre, comme le responsable de cet institut l'a avoué sans vergogne dans son message précédent.

Ceci dit, oui, le rédacteur en chef demande aux auteurs de se conformer au style de la revue,

 

oui, le rédacteur en chef demande que les auteurs s'expriment de manière intelligible (dans ce cas on en était très loin (un exemple parmi tant d'autres, une simple ellipse se trouvait toujours appelée "la géométrie")), que les figures ne comportent pas de chevauchements de texte sur les traits (ce qui était le cas), que le style des références soit suivi (ce qui n'était pas le cas), etc

Par ailleurs, j'ai demandé à l'auteur de trouver une référence un peu plus sérieuse qu'un résumé publié dans le recueil de résumés d'un colloque. Ce recueil de résumés est d'une part introuvable pour le lecteur moyen, d'autre part, il doit bien correspondre à un article, non ? Ne puis-je pas au moins poser la question à l'auteur ? C'est bien le rôle du rédacteur en chef d'inciter les auteurs à donner des références que les lecteurs puissent trouver.

Citer un résumé d'un recueil de résumés est encore une marque de désinvolture et de mépris vis-à-vis des lecteurs. M'accuser de "plagiat" (sic) pour cette demande révèle que l'auteur de cette accusation (qui porterait à plainte si elle n'était pas anonyme) ne comprend pas les mots qu'il utilise. Je ne suis d'ailleurs pas "éditeur" comme il l'écrit, mais rédacteur en chef, et ce que je demande est bien usuel et professionnel, comme la longue liste de chercheurs du plus haut niveau publiés depuis onze ans que je dirige cette revue l'atteste.

bien à vous,

XXX

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Lettre 4

Chère Collègue,

Je suis prof. de maths honoraire à xxx. Le courrier entre la rédaction d'une revue et des matheux ne me surprends pas.
La "décontraction" du responsable du département de maths est plus surprenante, mais probablement pas unique.
En revanche, je connais des ``auteurs" qui rédigent essentiellement leurs articles en utilisant les rapports successifs des referees, et en incorporant petit à petit, sans les citer, leurs recommendations. Un truc ``classique" consiste à laisser vaseuse une preuve que l'auteur ne connait pas, en espérant qu'un gentil referee en fournira une.
 
Mais pour donner une autre coloration du milieu des maths : Alors que j étais dans le comité de rédaction d'un journal un referee a proposé une amélioration substantielle pour un article soumis. L'auteur a trouvé cela formidable et a proposé au referee d'être co-auteur. Le referee a trouvé que sa contribution n'en valait pas la peine. Finalement le comité de rédaction a insisté et l'article a eu comme co-autuers l'auteur initial et le referee.
Cela remonte le moral!!!

Merci pour vos efforts,      

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