Parution 20.02.2011

Ramsès III vs. Ramsès III

 

Depuis plusieurs années sévit dans le milieu de la vulgarisation scientifique égyptologique une auteure, Violaine Vanoyeke, qui se présente partout comme « égyptologue » mais aussi comme « professeur de littérature et de civilisation grecques et latines, conférencière, linguiste, pianiste virtuose, etc. ». Abusés par Violaine Vanoyeke, les médias n’ont pas les moyens (ou la curiosité) de vérifier ses allégations et reproduisent à l’envi son CV impressionnant.

Voici un exemple de ses plagiats :

 

 

Cet article de notre collègue Philippe Collombert, Professeur d’égyptologie à l’Université de Genève a pour but de diffuser une information différente de celle qui est reproduite un peu partout et de révéler cette imposture égyptologique en exposant un cas de plagiat total, grossier et accablant. En espérant qu’il permettra aussi de faire avancer la réflexion relative au plagiat dans le monde de la vulgarisation scientifique et d’attirer l’attention des éditeurs sur leur devoir de contrôle.


 

Violaine Vanoyeke, romancière et « scientifique »...

 

Violaine Vanoyeke produit deux types de livres : des romans historiques, qui constituent l’essentiel de ses écrits (on peut en recenser près d’une trentaine prenant pour cadre l’Egypte ancienne), et des ouvrages de vulgarisation à vocation scientifique. Annoncé comme tel, un roman historique n’a généralement aucune prétention scientifique et n’est tenu à aucune « vérité » historique. Et s’il s’affranchit souvent avec bonheur de toute contrainte scientifique, il peut en revanche être considéré comme un genre majeur de la littérature, l’oeuvre tout entière d’Alexandre Dumas en témoigne. Il serait donc a priori mal venu de critiquer d’un point de vue historique les romans de Violaine Vanoyeke. Pourtant, l’un des principaux argumentaires publicitaires de cette auteure réside précisément dans les liens forts que sont censés tisser ses romans et sa production « scientifique ». Violaine Vanoyeke entretient en effet l’illusion de sa compétence égyptologique en prétendant nourrir ses romans du fruit de ses travaux scientifiques. Il suffit de citer le dossier de presse du dernier roman paru sous son nom aux éditions Alphée : « La grande égyptologue propose à travers ce roman palpitant de faire découvrir au public en exclusivité ses découvertes au sujet d'un pharaon capital de l'Egypte. Elle a retraduit tous les documents le concernant et les manuscrits juridiques retrouvés sur le complot » (http://www.editions-alphee.com/index.php?action=livre&id=379).

 

Mais qu’en est-il exactement de cette « éminente spécialiste de l’Antiquité dont les ouvrages font autorité », comme la présente encore son éditeur ?

 

Ce n’est pas ici le lieu de chercher à définir précisément ce qu’est un « égyptologue ». Outre ceux dont c’est le métier (chercheurs au CNRS, universitaires, conservateurs de Musée, etc.), l’égyptologie compte nombre d’auteurs amateurs, depuis le compilateur appliqué proposant des ouvrages de vulgarisation scientifique jusqu’au chercheur expérimenté s’adressant aux spécialistes. Quoique évoluant en dehors du cercle restreint (et souvent fermé) des « professionnels de la profession », ils ont aussi leur place, me semble-t-il, dans une définition large de l’« égyptologue ».

 

Il en va tout autrement de Violaine Vanoyeke.

 

Ramsès III contre Ramsès III

 

A l’heure où paraît, sous la plume de Violaine Vanoyeke, le deuxième volume d’une trilogie romanesque qui prend pour cadre le règne du pharaon Ramsès III (Ramsès III. Tome 2 : la reine lybienne (sic !), paru en novembre 2010 aux éditions Alphée), il paraît utile de rappeler que celle-ci s’était déjà intéressée à ce roi dans un précédent ouvrage.

 

Je parle ici d’un livre paru en 1996, aux éditions France-Empire et intitulé « Ramsès III », qui est une biographie de ce pharaon. L’ouvrage n’a rien d’un roman et n’est d’ailleurs pas présenté comme tel ; nous sommes ici dans le domaine de la vulgarisation scientifique. Le livre présente tous les gages de sérieux et, s’il est écrit de manière simple, il ne s’appuie pas moins sur des sources historiques fiables (citées en fin d’ouvrage).

 

Or, ce « Ramsès III » de Violaine Vanoyeke est tout simplement un édifiant exemple de plagiat.

 

Le livre est en effet, pour l’essentiel, la paraphrase d’un ouvrage de Pierre Grandet intitulé « Ramsès III. Histoire d’un règne », paru trois années plus tôt, en 1993, aux éditions Pygmalion. Pierre Grandet est un égyptologue spécialiste du règne de ce pharaon, auteur d’une thèse et de nombreux articles sur le même sujet. Son « Ramsès III » est une tentative réussie de vulgarisation scientifique menée par un chercheur de renom.

 

Le livre de Violaine Vanoyeke suit très exactement le développement de celui de Pierre Grandet et reprend, paragraphe après paragraphe (!), tous les faits présentés par Pierre Grandet. Il suffit de consulter les deux tables des matières pour s’en convaincre. Bien sûr, Violaine Vanoyeke prend la peine de raccourcir le texte, de changer quelques tournures, de trouver quelques synonymes, mais son travail semble s’arrêter là.

 

On trouvera ici un court mais saisissant extrait comparé des deux ouvrages, mais il faut bien comprendre que tout le livre de Violaine Vanoyeke est du même acabit. En fait, on en vient même à se demander si la signataire n’a pas employé un « nègre » pour écrire son livre. Celui-ci se serait acquitté de sa tâche avec grande légèreté et Violaine Vanoyeke n’aurait même pas pris la peine de relire l’ouvrage terminé, ou n’aurait pas suspecté le plagiat. L’emprunt est en effet si grossier qu’on n’ose imaginer que la plagiaire, si elle en avait eu connaissance, aurait eu l’audace de croire que le détournement resterait secret et aurait osé publier sous son nom une telle escroquerie.

 

Comme souvent dans ce type d’affaire, le livre plagié de Pierre Grandet est bien cité par Violaine Vanoyeke dans sa bibliographie, en page 314. Mais, comble de son aplomb, elle ajoute entre parenthèses que celui-ci a été consulté « pour l’administration et les constructions sous Ramsès III ». Il fallait oser !

 

Avant de lire le passage que j’ai choisi (au hasard complet…), il faut savoir que la description de la cérémonie d’investiture qui fait l’objet de ma citation, telle qu’elle est décrite par Pierre Grandet dans son livre, s’appuie sur des sources égyptologiques fiables mais est en grande partie une reconstruction propre à l’auteur, et qu’il serait donc totalement impossible de prétendre que la similarité des actes présentés par Pierre Grandet et Violaine Vanoyeke tient au fait qu’ils traitent du même sujet. En fait, même si tel était le cas, le plagiat est tout simplement trop évident pour être nié. Il convient enfin de préciser que je n’ai retranché aucun paragraphe des deux auteurs cités en parallèle, il s’agit de leur texte suivi respectif et le résultat est accablant (voir le dossier joint).

 

Comme souvent encore dans ce type d’ « exercice », on constate dans ce simple extrait que la plagiaire, trop ignorante de son sujet, n’est même pas capable de bien recopier l’original. Les fautes sont légions ; pour ne mentionner que des exemples tirés du passage cité ici : Violaine Vanoyeke parle d’un dieu « Dounâmouy » au lieu de « Dounânouy », de « la face nord du môle (sic) du VIIIe pylône de Karnak » alors qu’un pylône compte deux môles ; il faut donc lire « la face nord du môle occidental du VIIIe pylône de Karnak », comme l’écrit Pierre Grandet. Elle comprend mal les épisodes racontés par son modèle et y introduit des contresens (le passage sur le groupe statuaire, par exemple), etc.

 

Dans le même ordre d’idée, la faute d’orthographe flagrante qui figure dans le titre de son dernier roman, paru en 2010, « La reine lybienne » (sic) laisse perplexe, tant sur les connaissances de l’auteure que sur le travail de l’éditeur…

 

Il suffit. Violaine Vanoyeke n’est pas une égyptologue, quelle que soit la définition retenue pour ce vocable. Elle n’a jamais écrit le moindre article scientifique dans une quelconque revue d’égyptologie. Elle n’a pas le début d’une compétence en égyptologie. Romancière peut-être, et il appartient alors à d’autres que moi de juger de son style littéraire. Mais ses romans s’appuient sur une connaissance totalement superficielle de la civilisation égyptienne, et aucunement sur des travaux scientifiques personnels, à moins de considérer le plagiat comme une forme reconnue de la recherche.

 

Qu’en est-il du reste de sa production scientifique, non égyptologique ? Je n’en sais rien, mais ce seul exemple de plagiat éhonté et déontologiquement inacceptable suffit à jeter les plus forts soupçons sur le reste de son « œuvre » et à condamner sans réserve les pratiques de l’auteure.

 

Une rapide utilisation des moteurs de recherches disponibles sur internet permet par exemple de retrouver la trace d’un compte-rendu de Maurice Sartre (historien spécialiste du Proche-Orient hellénistique) paru dans les colonnes du journal Le Monde du 17 juillet 1998 à propos d’un livre de la même Violaine Vanoyeke sur les Ptolémées (« Les Ptolémées, derniers pharaons d'Égypte », paru en 1998 aux éditions Tallandier). Je ne saurais mieux dire que le célèbre historien et je reproduis donc le paragraphe final de son compte-rendu, sans oublier de le placer entre les guillemets qui permettent - Violaine Vanoyeke devrait s’en souvenir - de rendre à César ce qui est à César… :

 

« On pourrait faire silence sur un ouvrage aussi nul sur le plan historique si l'historien ne se révoltait devant le mépris du lecteur qu'implique une telle publication. Oser imprimer cela confine à l'escroquerie. Qu'on ne s'y trompe pas : cette « spécialiste » ne fait autorité qu'auprès de son éditeur ; les historiens, quant à eux, sont partagés entre l'indignation et la franche rigolade. Yahweh avait puni pharaon en infligeant à l'Egypte sept plaies terrifiantes. Tallandier en invente une huitième : elle a nom Violaine Vanoyeke » (Maurice Sartre, Le Monde 17/07/1998).



Philippe Collombert
Professeur d’égyptologie à l’Université de Genève